Mieux comprendre pourquoi le système productiviste breton se maintient

20 mai 2020
Mieux comprendre pourquoi le système productiviste breton se maintient

Tirons donc les leçons de l'Histoire pour agir plus efficacement. Leçons que nous pouvons tirer du dernier ouvrage de Magalie Bourblanc,L'agriculture à l'épreuve de l'environnement – 30 ans de lutte pour la qualité des eaux en Bretagne. Note de lecture et analyse.

 

Dans son dernier ouvrage L'agriculture à l'épreuve de l'environnement – 30 ans de lutte pour la qualité des eaux en Bretagne (éditions L'Harmattan 2019), Magalie Bourblanc, chercheure en science politique au CIRAD au sein de l'UMR G-Eau (Université de Montpellier), retrace l'histoire des mesures prises en Bretagne pour limiter les pollutions par les nitrates. Elle souligne ainsi « la résistance acharnée d'une profession agricole et d'une partie de l'administration vis-à-vis d'une obligation de conversion à une agriculture moins intensive et moins polluante, ne serait-ce que pour respecter la Directive nitrates ».

 

D'un intérêt majeur pour comprendre les stratégies mises en œuvre par la profession majoritaire et les services de l'Etat.

 

Véritable travail de recherche en sciences sociales, et de ce fait d'une lecture pas toujours aisée, cet ouvrage est d'un intérêt majeur pour comprendre les stratégies mises en œuvre par la profession majoritaire et les services de l'Etat.

 

La décision publique est élaborée en petit comité, entre représentants de la « Profession » majoritaire et de l'administration agricole, excluant de fait les associations de protection des consommateurs ou de l'environnement, juste consultées.

Poussant d'abord la controverse scientifique sur l'innocuité des nitrates, technicisant ensuite le débat en demandant des adaptations et dérogations en tout genre, cette stratégie de la profession majoritaire, appuyée aussi sur des pressions de type politique, a engendré un « imbroglio autour des instruments techniques d'action publique utilisés dans lesquels l'administration agricole finit par se retrouver complètement prise au piège. » Cette action publique négociée en petit comité emprunte à un registre très technique qui peut apparaître neutre a priori mais qui porte en réalité l'empreinte des schémas idéologiques reproduisant la manière traditionnelle d'appréhender les questions agricoles pour les partenaires de la cogestion.

 

Cette surenchère réglementaire va aussi être utilisée par certains membres de la « profession agricole » et en particulier les organisations professionnelles économiques comme moyen de contournement de la politique en place. Au final le PMPOA (Programme de Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole) mis en place a fait le jeu des organisations professionnelles économiques, coopératives et groupements de producteurs en tête. Sous couvert d'approche sociale pour limiter les effets indésirables de la réglementation environnementale sur les petites exploitations, le dispositif ultra-complexe mis en place a accéléré l'élimination des petits producteurs. Loin d'une remise en cause des filières industrielles, il s'en est suivi au contraire une concentration sans précédent des élevages, en misant sur les capacités à s'agrandir, la production de masse et les économies d'échelle.

 

Le poids des associations et des recours juridiques

 

Si elle n'a pas eu une influence décisive sur les politiques mises en place, Eau et Rivières a mis l'administration et la profession dans l'obligation de prendre des mesures de résorption en allant sur le terrain juridique dans les années 80, après avoir constaté l'inefficacité de ses précédentes tentatives de « mise à l'agenda », plutôt fondées sur des stratégies pédagogiques et de persuasion. Les recours juridiques contre les pollueurs, notamment des dirigeants d'organismes professionnels agricoles, ont mis un frein aux pratiques d'extension d'élevages sans autorisation administrative, sans toutefois empêcher l'arrangement majeur du PMPOA : investissements contre régularisations.

A partir des années 2000, les contentieux européens ont aussi été les leviers d'action des associations pour obliger à la mise en place de mesures permettant la réduction des pollutions agricoles.

 

Dans les années 2000 aussi, la régionalisation des politiques publiques a modifié le niveau de décisions et introduit de nouveaux partenaires, sans modifier fondamentalement les « arrangements » précédents. La lutte contre la prolifération des algues vertes en est une illustration : controverse scientifique autour de la prolifération micro-algale puis débat déplacé vers la réduction des fuites d'azote et pas la réduction de la production d'azote, et donc de la taille des élevages.

 

"Tirons les leçons de cette histoire pour agir plus efficacement"

 

Cet ouvrage permet de mieux comprendre pourquoi le système productiviste breton se maintient, avec une alliance entre le syndicalisme majoritaire et les acteurs économiques de la filière industrielle, qui au final ressortent toujours gagnants, les divergences internes s'estompant quand il s'agit d'obtenir des concessions dans les discussions avec l'administration.

Eau et Rivières a été la principale force d'opposition à ce processus délétère, obligeant les partenaires de « l'arrangement agricole » à mettre la question des pollutions agricoles à l'agenda et à mettre en place des plans de résorption des pollutions, sans parvenir à son objectif premier de transformation en profondeur des systèmes de production agricole.

Tirons les leçons de cette histoire pour agir plus efficacement.

 

 

 

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