Etiage 2022 : se situer par rapport au passé ?

04 août 2022
Etiage 2022 : se situer par rapport au passé ?

Les médias parlent beaucoup de sécheresse. Pour les rivières, le constat de sévérité des étiages est plus complexe, le débit étant le résultat du ruissellement, nul en ce moment, et de l’alimentation par les eaux souterraines, qui reflète les conditions de pluie de l’hiver (importance de la recharge et de la date de fin d’alimentation par les pluies). Suite à nos prévisions au 3 août, comparons maintenant l’année 2022 aux étiages sévères du passé en Bretagne.

 

Une situation de crise précoce…

 

Nos prévisions au 3 août se sont avérées un peu pessimistes, avec finalement des débits un peu plus soutenus que prévu, du fait dans certain cas d’un tarissement un peu surestimé, ailleurs grâce à des mesures de gestion et à l’effet des restrictions d’usage.

 

Les rivières de la région Bretagne sont globalement en situation d’alerte renforcée ou de crise au regard des seuils d’évaluation des arrêtés préfectoraux de gestion de la ressource en eau, sauf dans les deux-tiers ouest des Côtes d’Armor. Et ce, à une date précoce.

 

Voir le tableau de situation pour chaque site de mesure au 3 août 2022.

 

Les niveaux de crise des arrêtés préfectoraux correspondent à des situations rencontrées à peu près une fois tous les 10 à 12 ans. Le respect de ces mesures de restriction prises assez tôt dans l’année est d’intérêt collectif. Car à force de croire que la ressource en eau suffirait toujours à couvrir nos besoins, nos comportements quotidiens sont devenus disproportionnés lorsque la situation devient grave. Il est indispensable d’anticiper ces situations d’étiage sévère pour évaluer les conséquences des projets d’urbanisme, d’accueil d’entreprises, de développement en général.

 

… comparable à 1976 ?

Les perspectives météorologiques à 15 jours restent avares de pluies. L’année 2022 mérite maintenant d’être comparée aux étiages sévères précédents, dans un contexte de prélèvements pour l’eau potable et l’agriculture en croissance.

 

1- La méthode

 

Le réseau hydrométrique qui mesure les débits des rivières s’est densifié à partir de 1967. Nous disposons donc d’un recul de 55 ans. Les étiages sévères observés en Bretagne correspondent aux années 1976, 1990 et 20031. Nous avons choisi d’étudier les sites présentant les caractéristiques suivantes :

 

  • Être un site de référence des arrêtés préfectoraux
  • Avoir un bassin versant supérieur à 100 km2
  • Ne pas avoir d’influence importante à l’amont par un gros prélèvement pour l’eau potable, qui pourrait amplifier l’effet sécheresse (Goyen, Couesnon), ni bénéficier d’un soutien d’étiage (Aulne, Elorn, Blavet…), voire les deux.
  • Avoir une chronique de débits aussi fiable que possible ces quatre étés (1976. 1990, 2003 et 2022)

 

Pour affiner la démarche, nous avons porté une appréciation sur la fiabilité des débits de ces étiages, grâce aux données de la DREAL Bretagne (banque Hydro) qui gère ce réseau et nous a communiqué les mesurages de débits de ces périodes. Qu’elle en soit remerciée. Ce calibrage est essentiel pour la pertinence des débits publiés car les valeurs faibles sont rarement atteintes. D’un étiage exceptionnel à l’autre, les crues ont modifié le lit, donc les conditions de ces faibles écoulements. Nous avons aussi procédé à une analyse fine des enregistrements pour identifier des variations anormales et non explicables. Chaque étiage est donc « noté » selon les critères suivants :

  • A - excellent : plusieurs mesures de débit pendant l’étiage, pas d’anomalie d’enregistrement
  • B - bon : 1 à 2 mesures de débit seulement, petites anomalies corrigées
  • C - moyen : pas de mesure de débit, mais pas d’anomalie identifiée
  • D - douteux (au sens hydrologique) : pas de mesure du débit, anomalies évidentes corrigées, autres anomalies identifiées.

 

Plusieurs représentations étaient possibles. Un classique est de présenter les débits en cours dans une série de courbes « enveloppe » qui dessinent les débits moyens et l’enveloppe des débits de fréquence quinquennale sèche et humide, mais dans une échelle logarithmique qui écrase l’importance des variations pour pouvoir présenter crues et étiages dans un même graphique (ex. du Léguer à Pluzunet).

220804 LeguerPluzunet.png

 

Nous avons fait le choix de nous focaliser sur l’étiage lui-même, à compter du 1er juillet pour chacun des épisodes étudiés.

 

L’échelle des débits est linéaire. Les débits de début juillet peuvent être élevés, ce qui écraserait les courbes dans leur partie qui nous intéresse le plus. Nous les avons tronqués, mais ils sont bien disponibles. Cette présentation gomme toutefois la date de début des faibles débits, ce qui est le cas de 1976. Les courbes s’arrêtent à la remontée du débit des rivières, à des périodes qui varient beaucoup selon les années. Cela va du 28 août à fin octobre. Des pluies ont parfois donné de l’espoir en début septembre… L’expérience montre que les situations critiques perdurent parfois bien au-delà, avec des retours à des niveaux critiques. Il ne faut pas se précipiter à suspendre les mesures de restriction aux premières ondées.

 

Nous ignorons bien sûr quand cessera l’étiage 2022.

 

2 – L’examen d’une station par département :
  • Jugon-les-Lacs (Côtes d’Armor) se singularise par des assecs les années très sèches.

220804 ArguenonJugon.png

Source : banque Hydro, DREAL Bretagne, mise en forme et prévision ERB, 4 août 2022

 

En 1976, cette durée est spécialement longue (l’enregistrement ne fonctionne pas du 1er au 6 juillet 1976). Notre prévision indique que le débit nul sera rapidement atteint cette année, vers la date observée en 1990 (deux assecs) et en 2003… On voit que des pluies non négligeables en juillet 2003 n’ont pas eu d’effet durable. Impossible de s’avancer plus. 2022 est le deuxième étiage le plus sévère connu (rang 2) .

Le cas du Léguer à Pluzunet n‘est pas présenté car sa chronique de débits ne commence qu’en 1993.


 

  • Sur l’Odet (Finistère), 2022 a pour l’instant les apparences du deuxième étiage le plus sévère, qui sera à confirmer par rapport à 2003 d’ici quelques jours.

220804 OdetErgue.png

Source : Banque Hydro, DREAL Bretagne, mise en forme et prévision ERB 4 août 2022

 

Le débit est déjà sensiblement inférieur au 1/10ème du module, ce qui interdit tout prélèvement, sauf dérogation spécifique. 1976 restera remarquable par la durée des faibles débits, malgré les incertitudes sur quelques valeurs publiées.

 

  • Constat équivalent en Ille-et-Vilaine, à Monfort-sur-Meu

Les débits sont déjà très faibles cette année, et pourraient rapidement devenir inférieur à 10 l/s, pour un bassin versant de 473 km2 ! La durée de cette situation restera à suivre.

220804 MeuMonfort.png

Source : banque Hydro, DREAL Bretagne, mise en forme ERB, 4/08/2022


 

  • Dans le Morbihan, c’est l’Evel à Guénin qui sera notre thermomètre

Pour améliorer la lisibilité des courbes aux faibles débits, l’échelle verticale a été limitée à 600 l/s, ce qui tronque la courbe (continue) de 1990.

220804 EvelGuenin.png

Source : banque Hydro, DREAL Bretagne, mise en forme ERB, 4/08/2022


 

Là encore, c’est 1976 qui reste la référence, avec des mesures de débit précises et de qualité. Le seuil de mesure implanté en 2021 assure un suivi de très haute qualité cette année. Il est encore difficile de comparer l’étiage en cours à celui de 1990. Il sera probablement plus sévère, avec des valeurs très fiables.


 

Etiage sévère, oui, mais, à cette date, 1976 reste la référence

 

Indication valable pour les quatre sites : l’étiage 2022 est relativement précoce, mais pas autant que 1976. L’intensité de l’étiage 1976 reste encore exceptionnelle au regard de nos prévisions jusqu’au 15 août. Ceci souligne plusieurs faits importants : la période de début des étiages est un critère qui doit orienter la gestion de la ressource car il conduit à solliciter les stockages en barrage de façon précoce. La durée est un facteur important puisque qu’un débit assez faible pendant 30 jours est plus difficile à gérer qu’un débit plus faible pendant dix jours. Enfin, les plus bas débits sont aussi une façon d’apprécier la sévérité.

 

Aujourd’hui, si 2022 est le deuxième plus rare en débit (provisoirement à cette date), il est encore impossible de se prononcer sur sa durée. Mais le considérer comme très sévère ne fait déjà aucun doute.


 

Quelles leçons tirer de cet article ?

 

  1. Un hiver peu pluvieux et se finissant précocement se mesure par des niveaux de nappe bas, et correspond à une probabilité élevée d’étiage sévère. Un point mi-mai est indispensable dans cette situation pour engager des mesures précoces de gestion à l’échelle des bassins-versants.

  2. La croissance démographique en Bretagne (+32% depuis 1976), le développement du tourisme et des activités économiques, l’augmentation de la taille des élevages aussi bien laitiers que hors sol, se traduisent par des besoins localement accrus en eau, donc des recours au réseau public en été lorsque sources captées et forages tarissent. La question de la disponibilité de la ressource en eau doit être traitée à fond, y compris en examinant les situations critiques comme cette année, dans les réflexions d’aménagement, ce qui est rarement le cas actuellement.

  3. La protection de la ressource doit être renforcée en traitant le sujet des pollutions diffuses, et l’abandon des ouvrages moins productifs doit s’arrêter. Les grandes interconnexions ont leurs limites, comme l’a illustré la pollution de l’Aulne en 2019 ( fourniture de packs d’eau de source à 50 km de là).

  4. Pour tous les usages économiques, l’impact des effets des étiages sévères doit être examiné tant sur l’activité que le milieu, en ne se limitant pas à des calculs à partir de débits mensuels quinquennaux secs, comme cela a pu être observé lors de plusieurs enquêtes publiques récentes. Exploitants et pouvoirs publics sont ensuite dans des situations « ingérables » lors des crises, le plus souvent au détriment des rivières. Alors que les problèmes ont été soulignés ! Et qu’il n’en a pas été tenu compte lors de la décision.


Lire notre communiqué de presse du 4 août "2022, un étiage sévère qui se prolonge"

 

Et après ?

 

Après cette lecture, vous vous posez sans doute d’autres questions telles que :

  • Les effets du dérèglement climatique sont-ils déjà mesurables sur les rivières bretonnes ?

  • La durée des étiages non exceptionnels s’allonge-t-elle ?

  • Comment qualifier la gravité de l’étiage 2022… quand il sera terminé, et avec des exemples complémentaires ?

 

Les réponses seront dans plusieurs autres articles à venir…

 

Pour signaler tout manquement aux arrêtés Sécheresse, allez sur le site Sentinelles de la nature !

 

Pour économiser l’eau au quotidien, consulter notre page dédiée aux économies d'eau.
 

 

 


 

 

 

 

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