Algues vertes | Non-lieu dans l'affaire du cheval mort

29 janvier 2021
Algues vertes | Non-lieu dans l'affaire du cheval mort

Il y a plus de dix ans, Vincent Petit, avant de s'évanouir, voyait son cheval mourir sur la plage de Saint-Michel-en-Grève. La faute aux algues vertes, reconnait la justice aujourd'hui. Pour autant, elle rend un non-lieu. Nous vous expliquons pourquoi.

 

Le Tribunal judiciaire de Paris, Pôle santé publique de Paris, a rendu, le 18 janvier, une ordonnance de non-lieu dans la plainte collective déposée pour blessures involontaires, abstention de combattre un sinistre et atteinte involontaire à la vie d'un animal, pour des faits survenus le mardi 28 juillet 2009 sur la plage de Saint-Michel-en Grève, dans les Côtes d’Armor.

 

Lire ici l'ordonnace rendue par le Tribunal judiciaire de Paris

 

Pour Eau & Rivières, « la justice est inopérante »

Pour Eau et rivières de Bretagne, qui faisait partie des nombreux plaignants venus soutenir la démarche courageuse de recherche de responsabilité engagée par la victime de cet accident, « une justice qui met 10 ans à rendre son verdict est une justice en mauvaise santé qui ne peut rendre les services dont la population et notre planète ont besoin ! ».

 

Ce non-lieu exprime également que, face à un phénomène connu et clairement caractérisé, la passivité de l’État et son incapacité à faire évoluer la réglementation rend inopérante la justice. Or, une réglementation qui ne permet pas de rendre justice doit évoluer.

 

C’est d’ailleurs le sens d’un recours au Tribunal administratif introduit par Eau et Rivières de Bretagne contre la mise en œuvre du PAR 6 (Programme d’actions régional Nitrates), car il ne produit pas de réglementation spécifique aux territoires touchés par les marées vertes. Le délibéré devrait être rendu dans le courant du printemps.

 

Enfin, cette ordonnance a le mérite de rappeler la responsabilité pleine et entière de l’État (déjà condamné pour ces faits en 2009 suite à l’action de notre association), ce qui, quelques mois avant la publication d’un rapport d’évaluation de la Cour des comptes, ne manque pas de piquant.

 

Retour sur les faits

Ce 28 juillet 2009, Vincent Petit, après avoir vu son cheval mourir sous ses yeux, avait la vie sauve grâce à des agents techniques présents sur la plage de Saint-Michel-en-Grève (22). Le monde semblait alors avoir pris conscience du danger sanitaire que représentait les marées vertes.

 

Le 10 mars 2010, Vincent Petit déposait plainte avec Constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction du Pôle santé publique de Paris, des chefs de blessures involontaires, abstention de combattre un sinistre et atteinte involontaire à la vie d'un animal.

 

Dans cette plainte, Vincent Petit affirme que le risque que représentait l'hydrogène sulfuré (H2S) était connu de longue date, par de nombreux responsables qui s'étaient abstenus d’intervenir pour endiguer les causes de ce risque ou du moins pour prendre les mesures aux fins de le réduire.

 

Qu’a dit l’instruction ?

L'instruction a permis de démontrer le lien entre fertilisation agricole, algues vertes et émanations d’hydrogène sulfuré (H2S). Cependant, compte tenu de la définition légale des infractions de blessures involontaires et de l'exploitation des textes propres aux épandages, aucune violation réglementaire n'a pu être constatée. Aucune poursuite pénale n'est donc possible.

 

Même s'il n'y a pas de faute pénale des autorités locales ou des opérateurs agricoles, le Tribunal a eu nouvelle fois mis en lumière (TA 2009) l'inertie des pouvoirs publics face à un problème scientifiquement identifié. Malgré le consensus, les dangers sanitaires n'ont pas sensiblement modifié la réglementation. "La surfertilisation reste toujours du domaine de la mauvaise pratique agricole et non de la faute pénale." Cette instruction a ainsi mis en évidence l'inadéquation de la loi pénale actuelle aux catastrophes écologiques...

 

Petite leçon de droit

Même si le lien entre l'évanouissement de M. Petit et les émanations d'hydrogène sulfuré apparaît suffisamment caractérisé, ce constat n'est pas juridiquement suffisant pour caractériser les principales infractions pénales dont les juges d'instruction sont saisis, à savoir la mise en danger d'autrui et les blessures involontaires.

 

Mise en danger d'autrui

Pour caractériser la mise en danger d'autrui, il faut démontrer l'existence d'une obligation particulière de sécurité (loi, règlement) et sa violation manifeste. Or, en la circonstance, les textes réglementant la lutte contre la pollution des eaux par les nitrates agricoles sont issus de la "directive nitrates de 1991". Elle impose dans sa traduction en droit français un certain nombres de règles d'épandage, mais vérifier qu'un agriculteur n'a pas dépassé ses "quotas" reste difficile, sinon impossible à effectuer, surtout a posteriori. Dans ce contexte, aucun dépassement propre à une parcelle agricole en particulier n'a pu être matérialisé lors de l'instruction. Or, la loi pénale impose de relier de manière certaine le dommage à la commission d'une faute précise et identifiée ou la violation manifestement délibérée d'une obligation ou d'une règle.

Il est donc certain que Vincent Petit a été victime d'une intoxication liée aux algues vertes, ce qui a également causé la mort de son cheval, mais "rien ne permet cependant de relier de manière certaine ces événements avec une faute pénale ou la violation d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement."

 

Les blessures involontaires

Il y a au surplus impossibilité de déterminer un lien de causalité, le risque qu'un déversement de nitrates issu de lixiviation diffuse puisse aboutir à un accident étant loin d'être direct et immédiat (il est largement différé et éventuel). Or, le code pénal impose l'exposition directe à "un risque immédiat". Avec 4 ruisseaux et 170 élevages concernés, l'interprétation d'un lien de causalité, même indirect est beaucoup trop distendu pour qualifier une quelconque responsabilité pénale avec le degré de précision imposé par la loi.

 

Abstention volontaire de combattre un sinistre

Sur le chef d'absence d'éléments suffisants pour qualifier les infractions d'abstention volontaire de combattre un sinistre et de déversement de substances nuisibles, c'est l'inaction qui est réprimée et non l'action inappropriée. Or, l'instruction a réuni des éléments démontrant que les autorités locales ont engagé des moyens et pris des mesures pour combattre les marées vertes.

 

Le Tribunal, attendu qu'il n'existe pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis les infractions visées, a déclaré un non-lieu en date du 18 janvier 2021.

 

Lire ici l'ordonnace rendue par le Tribunal judiciaire de Paris

 

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